Évaluation expérimentale d’enchère à prix aléatoires appliquée aux droits d’exploitation de la forêt québécoise - Rapport II : Modes de ventes aux enchères en situation d’un acheteur unique
Ce rapport est le deuxième d’une série concernant l’évaluation expérimentale d’enchère à prix aléatoires appliquée aux droits d’exploitation de la forêt québécoise et fait suite au « Rapport I : Comparaison d’enchères multiples de premier et de deuxième prix » (Rondeau, Doyon et Courty, 2014).
Rappelons que le résultat des enchères est une variable importante pour la détermination du prix de la matière ligneuse en forêt publique qui n’est pas transigée par enchère (environ 80 % du volume en forêt publique), la révélation des valeurs devient ainsi un élément de première importance. Cette série de rapports explore donc certaines variantes d’enchères afin de vérifier si la révélation de valeur est améliorée, tout en prenant en considération des paramètres tels que le profit de l’acheteur, le revenu du vendeur et l’efficacité économique (L’efficacité économique est le pourcentage du surplus capturé divisé par le surplus total théorique (optimal)).
Alors que le rapport précédent s’est concentré à tester empiriquement, à l’aide de l’économie expérimentale, l’impact de l’élimination du prix de départ en relation avec la règle de deux mises. Ce rapport s’intéresse à la problématique d’obtenir la révélation de la valeur en situation d’acheteur unique.
Les deux problématiques explorées sont les suivantes: 1) la vente par enchère à un seul acheteur d'un seul lot contenant deux essences valorisées à et respectivement; et 2) l'offre simultanée à un seul acheteur de deux lots distincts lorsqu'il est possible ou anticipé que l'acheteur potentiel attache une valeur sous-additive à l'obtention des deux lots. La valeur sous-additive provient de la substituabilité complète ou partielle des deux lots, pour des raisons de capacité de production limitées, par exemple. La valeur sous-additive se manifeste par , où est la valeur pour l'acheteur d'obtenir les deux lots, est la valeur d'acheter seulement le premier lot, et celle d'obtenir seulement le deuxième lot.
Dans un premier temps, une revue de littérature est effectuée. Les éléments clés retenus sont :
- Qu’un prix de réserve non divulgué doit être perçu comme étant aléatoire par les acheteurs;
- L’enchère BDM est le seul mécanisme permettant des mises compétitives et la révélation de la valeur en présence d’un seul acheteur;
- Un prix de réserve aléatoire peut être considéré comme l'ajout d'une mise externe contre laquelle un acheteur doit faire compétition. Il peut donc, en contrepartie, réduire le nombre de lots vendus et affecter négativement l'efficacité économique de l'enchère;
- Les prix de réserve aléatoires sont généralement effectifs à accroître les revenus du vendeur;
- La distribution de laquelle sont tirés les prix de réserve aléatoires est une variable cruciale quant à la performance des enchères;
- Dans un environnement compétitif, l'efficacité attendue pour le vendeur avec un prix de réserve annoncé serait aussi élevée que sous un prix de réserve non divulgué, mais les revenus légèrement moindres;
- Pour un seul acheteur, il a été démontré que le BDM a le potentiel de révéler la valeur de participants en laboratoire. Par contre, ce résultat demande souvent une période d'apprentissage et d'expérience;
- Dans des comparaisons avec d'autres mécanismes avec les mêmes propriétés théoriques (offres à prendre ou à laisser; enchère Vickrey), le BDM semble produire des mises inférieures. La cause de ces différences n'est pas clairement identifiée.
Dans un deuxième temps, nous nous intéressons à l’application du BDM à la vente d’un lot composé de deux essences ou plus (ou d’un bien ayant deux composantes ou plus). Bien que notre démonstration soit faite pour deux essences, et ce afin de simplifier l’analyse, celle-ci peut être généralisée à n essences. Nous constatons que ceci pose problème si l’objectif est la révélation des valeurs par essence. En effet, puisque l’attribution du lot se fait sur la valeur totale, toute combinaison sera optimale. Ceci ouvre la porte à des mises stratégiques telles que sous-déclarer et sur-déclarer .
Afin de créer les incitatifs à révéler les valeurs par essence, nous développons donc le mécanisme de BDM-composé. Ce mécanisme génère une incertitude quant à la valeur totale ( ), permettant du fait de briser le processus d'agrégation et de forcer la révélation des valeurs individuelles. L’incertitude est créée en attribuant une probabilité que la quantité de l’essence (choix arbitraire) qu’un acheteur obtient ne soit pas 100 % du volume actuel disponible. Nous avons donc ici deux variables d’intérêt, soit β qui est la proportion de l’essence 2 qui sera attribuée (entre 0 % et 100 %) et P, la probabilité que cet évènement se produise. Notons qu’en théorie, la probabilité P et la proportion β peuvent être choisies arbitrairement proche de P=1 et β=1 sans affecter la fonction révélatrice de la valeur.
Des simulations numériques du mécanisme BDM-composé indiquent qu’en théorie, le coût associé à induire la révélation de la valeur est très faible, sauf dans le cas où une fraction importante d’une des essences ait une probabilité de ne pas être disponible. Bien qu’elles demeurent faibles, selon nos simulations, les pertes de revenus et d’efficacité augmentent lorsque la probabilité de n’obtenir qu’une fraction d’une des essences augmente (P diminue) et lorsque la fraction allouée du lot partiel (β) diminue.
Dans un troisième temps, une autre problématique potentielle est étudiée, soit l’offre de lots simultanés. Ainsi, un acheteur potentiel se voit offrir deux lots ne contenant qu'une seule essence chacun qu'il valorise individuellement à et . Par contre, s’il gagne les deux lots, un certain niveau de substituabilité peut faire en sorte que la valeur dont il tire des lots est .
Suivant un développement théorique, nous démontrons que dans pareil cas il n’est pas optimal pour un acheteur de révéler sa valeur. Nous concluons donc que l'offre simultanée de plus d'un lot à un seul acheteur avec valorisation sous-additive détruit la capacité du BDM à induire une révélation de la valeur. Des simulations numériques indiquent toutefois que du point de vue de l’efficacité ou même du revenu, la performance des BDM simultanées en pareille circonstance n’est pas mauvaise.
Afin de favoriser la révélation des valeurs en situation d’offre simultanée de deux lots, nous développons donc le mécanisme α-BDM. Dans le α-BDM, deux lots sont offerts à l'acheteur qui à l'opportunité de faire deux mises séparées. Or, en réalité une seule enchère BDM sera conduite pour un des deux lots. La façon de déterminer lequel des deux lots sera sélectionné peut être aléatoire ou reposer sur d’autres critères. Le fait que seulement une des deux enchères BDM sera conduite élimine les pertes (sous-additivité) potentielles auxquelles était précédemment exposé l'acheteur lorsque ce dernier pouvait faire transaction sur les deux lots. Ne sachant pas au préalable quel lot sera vendu et étant assuré de ne pas faire transaction sur les deux lots qui ont une valeur sous additive pour lui, ce mécanisme assure que les deux mises de l’acheteur sont indépendantes. Du fait, les incitatifs nécessaires à la révélation de la valeur sont rétablis.
Notons que pour que les qualités théoriques du α-BDM soient maintenues, deux conditions doivent être respectées : 1- L’acheteur doit percevoir qu’une probabilité existe qu’il n’obtiendra pas le lot 1 (celui ayant la plus forte valorisation selon notre nomenclature). 2- Les prix aléatoires (prix de réserve) des deux enchères (lot 1 et lot 2) doivent provenir de la même distribution. Si ce n'était pas le cas, ceci ouvrirait la porte à des mises stratégiques de la part de l’acheteur, et ce, afin de maximiser son espérance de profits.
Des simulations numériques avec différents niveaux de α (probabilité que seul le lot le plus valorisé soit obtenu) démontrent que dans le cas ou α tend vers 1, l’obtention de la révélation de la valeur entraîne peu de perte d’efficacité et de baisse des revenus.
Les simulations numériques indiquent que les revenus de l' α-BDM demeurent plus élevés que les revenus de BDM standard avec lots simultanés lorsque la probabilité α>0,8. Au chapitre de l’efficacité, il faut cependant utiliser une probabilité α qui excède 0,95. Ces résultats indiquent donc qu'il est possible d'introduire un mécanisme qui incite la révélation de la valeur en situation d’enchères avec lots simultanés, et qui résulte à la fois en une augmentation de l'efficacité économique et des revenus.
En conclusion, les mécanismes développés (BDM-composé et α-BDM) sont prometteurs, bien que relativement complexes. Nos simulations numériques et nos résultats expérimentaux indiquent une forte dépendance quant aux choix des distributions desquelles les valeurs et les prix de réserves sont tirés aléatoirement. Il est important de noter par ailleurs qu’il est possible de choisir des distributions qui favorisent différents critères de performance (efficacité, revenus, révélation des valeurs).
Ce choix nécessite toutefois des arbitrages. Nous en identifions deux types, soit l’arbitrage entre l’efficacité économique (attribution de lots) et les revenus. Cet arbitrage est spécifique aux mécanismes développés. Le deuxième arbitrage, qui est généralisé au mécanisme de BDM, est entre l’importance d’obtenir la valeur de l’acheteur (révélation de la valeur) pour les équations de transposition et le revenu (l’acheteur paie moins que sa valeur). Dans ce dernier cas, rappelons que nous obtenons la valeur maximale, laquelle n’est pas déclarée dans, par exemple, une enchère de premier prix