Analyse comparative sur le financement de la santé

La nécessité d'offrir une couverture universelle pour les soins essentiels est une valeur généralement reconnue. Toutefois, les coûts de santé sont devenus une préoccupation majeure des gouvernements de l'OCDE. Les dépenses en santé augmentent plus rapidement que la richesse dans de nombreux pays et rien ne permet d'imaginer que cette tendance n'est que temporaire. Comment donc assurer une protection santé qui soit la plus complète possible à toute la population sans trop alourdir notre économie. Ce rapport présente les résultats d'une première étape d'un projet de recherche visant à examiner ce qui se fait dans d'autres juridictions pour diminuer les pressions sur les dépenses de santé et améliorer les mécanismes de financement.

Les contributions des usagers

Faire participer les usagers du système de santé à son financement est une politique appliquée dans 50 % des pays de l'OCDE pour les services de santé et dans plus de 90 % des pays pour ce qui est des médicaments. Les tarifs sont en moyenne de 15 $ CAN (27 $ en incluant les États-Unis) par visite chez les médecins, généralistes ou spécialistes, et de 17 $ par jour pour les services hospitaliers. La moyenne de la participation des usagers sous forme de coassurance pour les services de santé excluant les médicaments est de 20 % dans les pays qui ont opté pour ce type de stratégie. À titre comparatif, le régime public au Québec exige une franchise mensuelle de 12,10 $, plus une coassurance de 29 % du coût des ordonnances en plus de la prime annuelle qui varie entre 0 et 538 $.

L'implantation d'une politique de contribution des usagers aux coûts des services de santé est fondée sur des études qui démontrent que les personnes qui bénéficient d'une couverture d'assurance-santé « consomment » plus de services que les non assurés. Il en est de même si l'on compare les assurés pour qui les services de santé sont entièrement gratuits versus ceux qui doivent participer au financement. Plusieurs travaux de recherche ont porté sur l'efficacité de cette politique pour réduire la demande de services de santé. Les chercheurs ont constaté que l'absence de contribution causait une perte de bien-être collectif de l'ordre de 10 % à 28 % des dépenses totales du régime, soit due à une consommation excessive de services ou encore à la prescription de services non appropriés. En outre, puisque ces travaux portent sur des données américaines, un marché jugé sur assuré, cette évaluation de la surconsommation de services est potentiellement supérieure à celle des autres marchés. De l'avis de certains auteurs, la théorie traditionnelle ne permet pas de tirer des conclusions robustes à cet égard.

D'autres études portent sur la notion d'équité d'accès aux services de santé. Puisque les régimes publics de santé sont instaurés dans le but d'assurer un accès universel aux services de santé, il apparaît que l'imposition d'une contribution rend l'accès aux services moins équitable. Or, la majorité des pays limitent les contributions annuelles des participants au régime et/ou exonèrent les plus vulnérables afin d'assurer une équité d'accès . Les travaux qui portent sur la notion d'équité n'ont pas observé d'iniquité d'accès pour ce qui est des visites chez les généralistes ou pour les services hospitaliers. Ils ont toutefois observé une faible iniquité d'utilisation en faveur des plus riches dans les pays qui imposent des contributions. Toutefois, l'exonération des plus démunis semble créer des iniquités en faveur des plus démunis. Dans tous les cas l'iniquité observée est très faible.

Or, puisque cette politique est efficace, il est possible qu'elle affecte non seulement la demande de soins non-essentiels mais aussi la demande de soins nécessaires. Des travaux ont porté sur cette question mais peu ont été concluant. Une étude qui portait sur l'examen de l'impact d'une hausse des contributions sur les consultations a observé une baisse pour des maladies mineures telles que des rhumes et des blessures non urgentes.

Les auteurs sont d'avis que le Québec devrait introduire une politique de contributions des usagers dans le but de (1) responsabiliser d'avantage les individus dans leur consommation de services de santé et (2) dégager une marge de manœuvre au niveau du financement. Cette politique devrait toutefois être accompagnée d'une politique de remboursement ou d'exonération pour les personnes les plus vulnérables. Notez toutefois que puisque cette politique contrevient à la Loi canadienne, d'autres politiques devront être envisagées avant celle-ci.

Les régimes publics d'assurance contre la perte d'autonomie

Le financement de l'accroissement des services de santé pour répondre aux pressions sur la demande engendrée par le vieillissement de la population est un enjeu qui préoccupe tous les pays de l'OCDE et pour lequel aucune solution évidente n'a encore émergée. Au Québec, ce problème est exacerbé par les éléments suivants : les services de santé accaparent déjà 43 % des dépenses de programmes du gouvernement, la fiscalité est plus élevée que celle de tous ses partenaires commerciaux et son niveau d'endettement aussi. Trois facteurs qui limitent de façon importante les options pour financer le développement de nouveaux services.

Pour répondre à ce problème, le gouvernement actuel a proposé de mettre en place un régime d'assurance public pour les services aux personnes en perte d'autonomie (services hospitaliers de longue durée et soins à domicile). Un régime qui serait financé par des cotisations obligatoires (primes santé), de tous les contribuables, de 396 $ par année. Les auteurs rejettent d'emblée cette solution car elle aurait pour effet d'augmenter la fiscalité personnelle, d'accroître la part des budgets publics alloués à la santé et/ou d'aggraver la problématique de l'endettement. Ce qui ferait porter le fardeau du financement de ce régime aux générations futures. D'ailleurs, tous les pays qui ont opté pour ce type de politique l'ont fait il y a un certain temps, de sorte que l'accumulation de fonds pour financer ces programmes a débuté avant que le vieillissement de la population se fasse sentir. De plus, ils envisagent maintenant de modifier leur programme à cause des pressions trop fortes qu'il exerce sur leurs finances publiques.

D'autres pays ont plutôt décidé de financer ces services à même les fonds généraux alloués à la santé. Ils ont toutefois accompagné cette stratégie de mécanismes visant à accroître l'efficience du système de santé, et dans quelques cas, ont introduit un test d'admissibilité au régime public . Les auteurs sont d'avis que ces deux types de démarches seraient plus appropriés au contexte du Québec.

L'assurance privée dans les pays de l'OCDE

On observe une certaine convergence vers les systèmes de financement mixte de la santé. En outre, la diversité des garanties offertes au privé semble montrer qu'aucun service n'est mieux couvert par le régime public ou par les régimes privés.

Rien ne permet d'affirmer que l'accès aux soins de santé, dans les pays où l'assurance privée occupe une place importante dans le financement de la santé, est inéquitable envers les plus pauvres. Dans la majorité des pays de l'OCDE, les régimes publics d'assurance santé sont universels ou quasi universels et l'objectif de l'universalité d'accès est généralement de garantir l'accès équitable aux services de santé à tous. Or, l'étude la plus reconnue à cet égard, celle de Van Doorsaler et Masseria (2004), montre qu'il y a peu d'iniquité dans les systèmes de santé et que lorsqu'il y en a, l'iniquité en faveur des plus riches s'applique davantage à la fréquence des visites et à l'accès à un spécialiste qu'à l'accès aux services de santé en général.

L'analyse de l'assurance privée dans les pays de l'OCDE a permis de faire les constats suivants au niveau du financement des services de santé : l'assurance privée contribue à la croissance des ressources financières; la baisse de pression sur les dépenses publiques de santé due aux assurances privées est limitée essentiellement parce que les assureurs privés ont peu d'impact sur les coûts de santé.

Les assurances privées semblent définitivement offrir un potentiel intéressant pour accroître le financement de la santé et diminuer les pressions sur le système public, soit en tant qu'assurance duplicative ou primaire substitutive. Toutefois, l'obtention de résultats est conditionnelle à un environnement réglementaire propice au développement de son plein potentiel tout en évitant de créer des difficultés additionnelles.

Pour conclure :

Cette analyse était une première étape dans l'étude des options pour diminuer les pressions sur les finances publiques associées au financement de la santé. Elle s'est donc limitée à trois options largement discutées au Québec comme étant des solutions potentielles. Bien que l'analyse de toutes les options ne soit pas complète, cette étude a permis de faire des constats importants :

• il n'existe pas de système idéal ou de réglementation optimale applicable à tous les pays;

• la solution n'est pas unique et se trouve plutôt dans la complémentarité;

• les seuls pays qui ont réussi à ralentir les coûts des régimes publics de santé sont ceux qui se sont attaqués à la gouvernance de leur régime (incitation à la performance, concurrence, évaluation et contrôle des coûts et séparation des mécanismes de financement et de prestation des services);

• la création de nouvelles sources de financement repose sur le recours à l'assurance privée et à un secteur privé de la santé qui ne se développeront que si les conditions propices sont mises en place;

• la responsabilisation est également une source additionnelle de financement et elle repose sur la contribution des usagers au moment de recevoir la prestation de services;

• enfin, l'ensemble de ces options doit être envisagé en mettant des politiques en place visant à maintenir un accès équitable et universel aux services de santé.

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