COVID-19 et main-d’œuvre en santé. Déminer le terrain et lever les verrous institutionnels
Alors que la crise engendrée par la COVID-19 crée des pressions pour accroitre des services, elle impose un lourd tribut aux travailleurs de santé qui doivent offrir ces services. Ce rapport jette un regard critique sur la réponse du Québec à la crise, en matière de main-d’œuvre en santé. Il vise ainsi à ouvrir de nouvelles pistes quant aux politiques à promouvoir pour renforcer les capacités dans ce domaine.
Trois leviers mobilisés par différents États et territoires pour renforcer les capacités de main-d’œuvre sanitaire durant la période pandémique. Aucun système de santé n’a misé sur une solution unique. C’est une combinaison de trois leviers qui ont été mobilisés, à des degrés divers : 1) élargir le bassin de main-d’œuvre de manière à augmenter rapidement les effectifs disponibles 2) maximiser la présence au travail des effectifs disponibles; 3) maximiser la contribution des travailleurs présents.
Des leviers similaires mobilisés au Québec, mais avec un niveau d’efficacité mitigé. Au regard du premier levier, un large éventail de mesures a été déployé pour élargir le bassin de main-d’œuvre, mais il n’aura pas permis d’augmenter de manière significative les effectifs. Les gains obtenus ont été lents et en deçà des attentes. Aux périodes les plus critiques de la crise, une fraction relativement faible des personnes ayant manifesté un intérêt à contribuer a été mobilisée. Au regard du deuxième levier, diverses mesures ont été mises en œuvre, de manière prompte, pour lever les contraintes à l’activité des travailleurs et maximiser leur présence au travail. Cependant, elles n’ont pas empêché une explosion du nombre de travailleurs absents, dont près de la moitié parce qu’ils ont été infectés. Au regard du troisième levier, plusieurs groupes professionnels pleinement habilités, par leur formation, à apporter une contribution à la réponse à la crise, n’ont été que peu mobilisés. Les développements observés pour divers groupes clés (ex. infirmières, travailleurs sociaux, psychologues, professionnels de réadaptation) n’ont pas fait bouger significativement les frontières traditionnelles des champs de pratique.
Un terrain miné et divers verrous institutionnels. Dans sa riposte rapide contre la COVID-19, le système de santé du Québec a dû déployer ses forces sur un terrain miné sur le plan des ressources humaines en santé : des déficits chroniques de main-d’œuvre dans divers secteurs de soins, des systèmes de santé et de sécurité du travail reflétant un niveau peu avancé de maturité, un cadre règlementaire de fonctionnement des établissements de soins de longue durée qui n’assure pas un niveau de surveillance adéquate et ne crée pas des incitations à l’amélioration continue de la qualité. Au-delà des fragilités connues susmentionnées, la réponse à la crise a été aussi contrainte par les verrous institutionnels associés à trois paramètres qui définissent le système de santé actuel : la centralisation des pouvoirs et de la prise de décision, la centralité de l’hôpital au détriment des autres missions, le cloisonnement des champs de pratique.
Recommandations pour déminer le terrain et lever les verrous. Quatre principales recommandations découlent de cette analyse et commandent quatre chantiers majeurs.
La première recommandation consiste à élaborer et déployer à très court terme une stratégie nationale de développement des ressources humaines en santé tant pour corriger les fragilités nommées que pour être mieux armé face à de nouvelles vagues de la pandémie ou d’autres crises similaires.
Les trois autres recommandations proposent des politiques de rupture qui doivent briser les cycles de reproduction des fragilités actuelles :
- Inverser la trajectoire centralisatrice suivie depuis des décennies afin de renforcer les capacités de gouvernance et de gestion des organisations, de redonner à celles-ci les moyens de créer des environnements de soins plus favorables et de les tenir imputables;
- Changer les modes d’allocation des ressources aux établissements et de paiements des services médicaux afin de promouvoir de nouvelles règles du jeu qui créeront de nouvelles incitations;
- Mettre en place des modalités pour un système professionnel plus ouvert où les champs de pratique seront soumis de manière périodique à des révisions systématiques tenant compte de l’évolution des connaissances et des changements dans l’écosystème professionnel.[1]
[1] Pour consulter le texte Perspectives à ce sujet, veuillez suivre ce lien : https://www.cirano.qc.ca/fr/sommaires/2020PE-37.