Pour un financement durable de la santé au Québec

Le système de santé québécois se trouve dans une situation délicate. D'une part, le taux de croissance annuel des dépenses de santé, au cours des vingt dernières années, a été systématiquement plus élevé que le taux de croissance du PIB (de 1% en moyenne). D'autre part, le gouvernement éprouve de plus en plus de difficulté à répondre à la demande de financement pour les services de santé. Or, la demande de services ne cesse d'augmenter, trois facteurs exerçant des pressions importantes sur la demande de soins, soit l'enrichissement, le vieillissement de la population et les développements technologiques. Il en résulte que les dépenses de santé accaparent une part de plus en plus importante des budgets des gouvernements, aux dépens de leurs autres champs de compétence.

Depuis plusieurs années, la viabilité à long terme du système de santé est au cœur des préoccupations des gouvernements canadiens, fédéral et provinciaux. Dans ce contexte, plusieurs commissions publiques ont récemment été mises en place afin d'étudier la question en profondeur. On constate, en prenant connaissance de leurs recommandations, que la majorité de ces commissions s'accorde sur le fait que notre système de santé n'est pas viable sans de profonds changements dans les moyens de le financer. Le présent rapport propose une évaluation des multiples recommandations formulées par les commissions publiques canadiennes quant à leur contribution potentielle à la problématique du financement du système de santé, plus particulièrement leur impact sur l'offre et la demande de services de santé.

L'impact des réformes structurelles

Dans le cas d'un bien ou d'un service privé, le prix et la quantité consommée sont déterminés par le point d'équilibre entre l'offre et la demande. Dans le cas d'un service financé publiquement, c'est le budget du gouvernement qui détermine la quantité de services offerts ; l'offre est donc fixe. De plus, le prix demandé est nul ; il s'ensuit donc une demande quasi illimitée. Cet ensemble de facteurs entraîne un rationnement important qui, en termes de santé, se traduit pour la population en temps d'attente. Au Québec, ceux-ci sont longs; trop longs de l'avis de plusieurs.

Les réformes structurelles proposées par les différentes commissions publiques peuvent être classées, selon leurs objectifs, en trois catégories, soit celles visant :
- l'amélioration de la productivité
- le contrôle de l'offre de services
- la réduction de la demande

Les deux premières catégories (qui incidemment représentent la grande majorité des propositions de réformes structurelles) concernent l'amélioration de l'offre des services. Fait intéressant, elles font l'unanimité auprès des différentes commissions publiques canadiennes1. Toutefois, leur incidence sur la problématique du financement est limitée puisqu'elles s'intéressent à l'offre de services et que le problème se situe du côté d'une demande excédentaire croissante. Toute amélioration de la productivité et de la qualité des services aura un impact similaire à une augmentation du budget de santé. Mais la demande étant très excédentaire, l'effet de ces réformes sera à peine perceptible pour le public.

Quant à la troisième catégorie de réformes proposées, elle ne comprend qu'une seule proposition, soit celle d'accroître les initiatives de prévention des maladies. Cette proposition aurait pour effet de diminuer la demande de services, excellente nouvelle en soi puisque cet effet serait inverse à ceux du vieillissement de la population et de l'enrichissement. Toutefois, cette proposition est insuffisante puisque son effet ne se fera sentir qu'à long terme. En outre, puisqu'elle n'a pas d'effet sur le prix, qui est nul, la demande restera fortement excédentaire.

En conclusion, si aucune mesure n'est adoptée dans le but de diminuer la demande à court terme, le système demeurera en état de crise.

L'impact des réformes portant sur le financement

Le financement du système de santé provient de deux sources potentielles : le secteur public et le secteur privé.
L'impact d'un accroissement du financement public. Les sources d'accroissement des fonds publics provinciaux sont de quatre ordres:
- impôts
- transferts fédéraux
- augmentation de la richesse - amélioration de la gestion des finances publiques

Toute politique ayant pour effet d'augmenter le fardeau fiscal des contribuables est peu envisageable, les Québécois supportant déjà un fardeau fiscal parmi les plus élevés au monde. De plus, les impôts fédéraux étant payés par les mêmes contribuables, une augmentation des transferts fédéraux ne saurait constituer une solution. Quant à l'accroissement de la richesse collective, il est extrêmement difficile à réaliser, étant donné les moyens limités dont dispose le Québec. En fait, la meilleure option serait d'adopter des mesures de prudence budgétaire, en procédant d'abord au remboursement de la dette publique. Cette mesure aurait pour effet d'accroître la marge de manœuvre du gouvernement. Mais encore une fois, ces propositions n'ont aucun impact sur la demande de services et, de ce fait, leur impact sur la problématique de financement ne pourra qu'être limité.

L'impact d'un accroissement du financement privé. Les propositions d'accroissement des contributions du secteur privé examinées par les commissions publiques sont de trois ordres:
- accroître les contributions individuelles
- accroître la couverture d'assurance santé
- faciliter le développement de l'offre de services du secteur privé

Toute proposition d'un accroissement de la participation du privé au financement du système de santé, sous quelque forme que ce soit, nous engage dans un débat dépourvu d'objectivité, extrêmement complexe, et où les arbitrages sont difficiles. Toutefois, puisque la problématique du financement de la santé est intimement liée à son modèle de financement, il importe de considérer les moyens de corriger, ou du moins d'amoindrir, l'impact d'un coût nul sur la demande de soins.

L'accès universel aux soins de santé sans avoir à débourser permet à chacun de recevoir des soins sans égard à sa capacité de payer. C'est un système de redistribution de richesse qui fait la fierté des Canadiens. Le Canada, en effet, est le seul pays industrialisé à avoir maintenu la gratuité complète des services de santé essentiels. Mais ce système, qui fonctionnait très bien en 1970, lors de son instauration, est devenu, avec l'inversion de la pyramide des âges, problématique. La gratuité des services favorise un comportement non responsable de la part des individus (patients et intervenants) dans leur consommation des services de santé; la demande pour des services gratuits est toujours excédentaire de sorte que, peu importent les réformes qui seront adoptées, elle ne sera pas comblée et les frustrations demeureront. À moins de modifier le modèle économique en introduisant des moyens de responsabiliser les individus dans leur consommation, il y aura peu d'amélioration dans la satisfaction de la population à l'égard de l'accès aux services.

Les commissions publiques sur la santé ont proposé plusieurs moyens de responsabiliser les individus, notamment en octroyant un compte d'épargne médical à chacun, ou encore en remplaçant une partie des impôts sur les revenus par un impôt services santé prélevé en fonction de l'utilisation des services et de la capacité de payer des individus. Complexes et coûteuses à implanter, ces solutions auraient toutefois avantage à être étudiées. Mais elles ne dégageront pas nécessairement des fonds publics additionnels.

La mise en place de frais d'usager minimaux ou d'un ticket modérateur inciterait l'individu à participer au financement du programme, selon son besoin, sans compromettre l'atteinte de l'objectif social, soit celui d'offrir à l'ensemble de la population le meilleur accès possible au service public. Les frais d'utilisation sont vus à la fois comme une façon efficace de restreindre la demande et d'accroître les ressources financières du système. Les propositions en ce sens s'appuient toutefois sur une surconsommation de soins, un phénomène qui aurait avantage à être mieux documenté.

Accroître la part des soins de santé couverts par une assurance santé mixte et obligatoire2 permettrait que certains services de santé «moins essentiels» puissent, tout en étant couverts par une assurance publique, être inclus dans les régimes d'assurance complémentaires privés. En d'autres termes, le gouvernement fédéral pourrait transformer une partie de l'obligation d'un régime universel public en une assurance obligatoire assortie de conditions non discriminatoires. Il s'agirait donc de transférer un certain nombre de services du régime universel public (les services les moins essentiels) vers un régime universel mixte. Cette proposition aurait non seulement comme avantage de permettre à l'État de hausser ses dépenses pour les services demeurant dans le régime universel public, mais aussi de répondre à la demande d'élargir la couverture de soins de santé (soins de longue durée, par exemple). L'expansion du régime mixte permettrait d'assurer à tous l'offre d'un plus grand nombre de services, sans pour autant mettre en péril la composante redistributive du système actuel. En outre, à l'exemple du régime d'assurance médicaments, les contributions individuelles sous forme de primes et de franchises auraient pour effet de responsabiliser davantage les individus dans leur consommation de services de santé.

À l'instar du régime d'assurance médicaments, cette option apparaît comme une solution de rechange particulièrement attrayante par rapport à d'autres options. Elle ne constitue toutefois pas une solution unique aux problèmes de financement du système de santé. Elle devrait être accompagnée de mesures d'amélioration de la qualité des services de santé et d'une meilleure gestion des finances publiques.

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